Les trois grandes sociétés de la grande distribution distillent avec beaucoup de prudence les mauvaises nouvelles. Chaque semaine, les groupes Casino, Carrefour ou Auchan lâchent à tour de rôle, des informations inquiétantes sur leur activité et leur développement, qui, mises bout à bout, prouvent que le secteur tout entier est en grande mutation. Le terme de mutation étant le terme utilisé par les experts en stratégie industrielle pour désigner ce qui ressemble beaucoup à une retraite en rase campagne.
Chez Carrefour, le plus gros, le plus puissant, mais aussi le plus vulnérabledes grands groupes de la distribution, le nouveau PDG, Alexandre Bompard a depuis le début de son mandat, il y a deux ans, les yeux rivés sur le plan de transformation du groupe que les actionnaires lui ont demandé de mettre en œuvre.
Le plan en question porte sur une réduction de coûts de deux milliards d’euros dès 2020, avec des départs volontaires d’environ 2 400 personnes au siège du groupe. Sur le terrain, le plan porte surtout sur un nettoyage des structures de proximité. Carrefour transforme ses supérettes en Carrefour Contact, Contact Marché et Carrefour City, mais Carrefour procède aussi à beaucoup de fermetures ou de reventes d’enseignes et de points de ventes à d’autres partenaires : plus de 200 magasins de la chaine Dia ont déjà été fermés ou cédés. Ajoutons à cela cinq hypermarchés en France donnés en location gérance.
Chez Casino, tous les observateurs s’interrogent sur le pourquoi aussi rapide de telles difficultés. Jean-Charles Naouri, le principal actionnaire du groupe qu’il a développé en près de 50 ans, court après les banques pour trouver des financements. Son endettement personnel comme celui de ses principales filiales ne lui permet pas de sécuriser l‘avenir de son groupe.Début juin, il a donc décidé de placer sous sauvegarde judiciaire la société Rallye, holding de tête du groupe Casino et trois autres sociétés du groupe. Cette opération lui permet de suspendre un certain nombre de paiements mais l’oblige aussi à trouver une solution, c’est à dire vendre certains actifs dont il pourrait s’alléger. Il y a des pépites dans ce groupe, des sites de E-commerce, de très beaux emplacements commerciaux, mais ce ne sont pas les actifs qu’il vendra d’abord. Son problème est d’écrire une page supplémentaire de l’avenir de la grande distribution.
Chez Auchan, on additionne aussi les pertes : plus d’un milliard d’euros en 2018 au niveau de la holding qui est propriétaire des magasins Auchan, de la banque One et de la Foncière Citrus. Cette holding de tête est plombée par la perte de valeur du pôle distribution. Dans la famille Mulliez, on ne se fait guère d’illusion, il va falloir entamer un plan de redressement très sérieux. Et qui dit redressement dit suppression de magasins, transformations et plans sociaux. Alors la direction générale jure qu’il n’y aura pas de suppressions d’emplois, mais que les économies passeront par des regroupements d’entrepôts, des reventes de certains magasins et des programmes d’innovation. Le groupe Mulliez compte donc sur la solidité des magasins de la famille comme Decathlon, Boulanger, Kiloutou, Flunch ou Norauto pour récupérer des emplois qui seraient perdus dans la grande distribution.
Toutes ces difficultés qui touchent les grands de la distribution annoncent clairement la fin du modèle qui a fait le succès du secteur.Inventé dans les années 50, par les familles Fournier et Defforey, les fondateurs de Carrefour, la formule de l’hypermarché installé au bout d’une galerie marchande à la périphérie des villes moyennes est en train d’évoluer à grande vitesse.
Cette formule a répondu à un besoin du consommateur qui a très bien compris qu’il allait trouver ici à des prix abordables tout ce que la société de consommation pouvait lui offrir. La grande distribution a accompagné et accéléré le changement des habitudes de vie et la façon d’habiter. Du coup, l’urbanisme a changé, les centres-villes se sont souvent vidés et la vie sociale s’est déplacé avec les « caddy » du coté des parkings et des ronds-points.
Ce modèle-là est fatigué, d’abord parce que le consommateur a trouvé dans le E-commerce les mêmes référencements que dans les hypermarchés avec le service en plus. L’incroyable succès d’Amazon, dans le monde entier, n’a rien de surprenant. Amazon vend à des prix attractifs, tout ce qui est nécessaire à la vie quotidienne, nécessaire et superflu, le rêve en prime, le service de livraison en surprime. Et ça marche !
Mais ce n’est pas tout, la grande distribution s’est développée sur l’idée que la classe moyenne dans les pays occidentaux allait fonder son habitat et sa mobilité uniquement sur l’automobile. Or, l’automobile déjà indispensable pour rejoindre le lieu de travail, est devenue chère en carburant et polluante en gaz carbonique. La voiture est devenue l’outil à abattre dans les années qui viennent. Du coup, toutes les activités dont l‘exercice dépendaient de la voiture sont en risque d’hypothèque.
Ajoutons à cela que la sur consommation offerte par la grande distribution ne fait plus rêver. Les consommateurs veulent consommer autrement, ils veulent du bio, du local, de l’information, du service, etc. mais pas forcément ce que les hypers offrent
Alors, la grande distribution peut évoluer certes, elle en est capable, mais les résistances socio-politiques sont grandes. Le ticket d’entrée sur le e-commerce est désormais très cher.
Quant aux actifs de la grande distribution, ils sont déjà très dévalués. Aux Etats-Unis, on vend pratiquement une galerie marchande par mois.Quoi faire avec ces centres commerciaux qui seront vidés de leurs commerces ? Certains se transforment en sites spécialisés dans la forme (piscine, salle de sport, jacuzzi). D’autres en garages ou en entrepôts.
Ceci dit actuellement, les aménageurs sont en panne